« Donald Trump, une marque comme les autres », telle est le titre de la tribune signée par David Benguigui (Ionis Education Group) parue hier dans le magazine Stratégies.
Cette tribune s’inscrit naturellement dans le contexte du lancement en fanfare des montres de luxe siglée « Trump », qui succèdent ainsi aux nombreux produits déjà vendus sous la marque portant le nom de l’homme d’affaires et ancien président, des fameux hôtels aux baskets à 299 $.
La tribune souligne la dimension marketing de la communication de Donald Trump :
« L’un des aspects les plus marquants de la politique de marque étant la simplification du message, ses discours sont réduits à des phrases-chocs. Son slogan, « Make America Great Again », est un parfait exemple de stratégie de branding : simple, évocateur, et mémorisable. Ce n’est pas seulement une promesse politique, c’est un message marketing touchant une corde sensible de nombreux Américains. Cette simplification conduit à la domination des affects, des émotions sur la raison. Trump a d’ailleurs poussé cette logique à son paroxysme, avec l’assaut du Capitole ou encore l’exploitation de la tentative d’assassinat dont il a été victime. »
Elle souligne également les risques que fait encourir à la démocratie de ce mélange des genres :
« Cette évolution n’est pas sans dangers. Les enjeux complexes sont simplifiés à l’extrême, les discours se polarisent, et les personnalités prennent le dessus sur les idées. En se concentrant sur l’image et la marque personnelle, les politiciens perdent de vue les véritables défis auxquels ils sont censés répondre. La politique devient spectacle, série d’événements médiatiques destinés à renforcer la marque du politicien. »
[… « Si l’on peut reconnaître l’efficacité de la stratégie de Trump, il est essentiel de s’interroger sur ses conséquences. La politique de marque risque de transformer la démocratie en une simple compétition de popularité, où la substance est sacrifiée au profit de l’image, où la nuance et la diplomatie – ce qui fait le sel démocratique et coïncide au « temps long » – sont dénigrées et abandonnées. »
Cette argumentation a le mérite de conduire à poser au moins deux questions.
Est-il nécessaire de solliciter le concept de « marque », de « politique de marque » ou de « branding » pour qualifier ce qui a toujours été, depuis la démocratie athénienne, dénoncé par les élites, Platon en tête, comme relevant de la démagogie et des avantures personnelles ? Cf. l’intéressant ouvrage de Philippe Lafargue Fiers d’être démagogues ! Ce que nous pouvons apprendre de la démocratie athénienne paru aux éditions Buchet Chastel, qui rappelle que la démagogie est née avec la démocratie.
D’autre part, les marques n’ont-elles vraiment rien à dire que les slogans vides de sens ? Rien n’est moins sûr, a fortiori depuis quelques décennies. Pour s’en convaincre, il suffit de lire Le Roman national des marques. Le nouvel imaginaire français de Raphaël LLorca, paru aux éditions de l’Aube, où il est question de la montée en puissance des marques dans la construction du roman national, palliant ainsi la défaillance du discours politique :
La thèse de Raphaël LLorca est que la défaillance narrative du personnel politique est au cœur du malaise français et que le vide laissé a permis à des nouveaux conteurs de s’y engouffrer. Dans notre vie contemporaine, de nouveaux acteurs qui n’avaient pas forcément cette légitimité culturelle s’emparent de ce discours sur la France. Et parmi ces nouveaux acteurs, il y a les marques commerciales. Un de ses constats est que les politiques se sont mis à faire du marketing et les marques se sont mises à faire du politique, dans une espèce d’inversion des rôles.
Les marques commerciales se sont donc mises à produire des discours énonçant explicitement des visions de la France. « Elles ont par ailleurs compris qu’elles devaient utiliser un discours national qui ne sente pas le réchauffé, qui ne sente pas cette forme de catéchisme républicain, auquel le politique cède souvent – par paresse ou par ce manque de travail auquel le politique cède souvent -, avec cette façon de répéter des mots et des imaginaires sur la République, sur la France, qui ne correspondent plus au monde contemporain.
Les marques se sont donc écartées du pur discours commercial pour embrasser un récit national et une vision de la société. En ce sens, elles endossent une responsabilité nouvelle dans le débat public.
Et bien souvent, elles le font avec plus de talent et de conviction que les politiques. Raphaël LLorca constate en effet que « les marques parviennent à véhiculer un roman national le plus souvent fédérateur, positif et créatif, ce que les politiques ne parviennent plus à faire ».
[…] Les marques portent leur propre réinterprétation de ce roman national. « Les marques, elles aussi, procèdent à une restructuration mentale des imaginaires politiques. L’histoire du marketing apprend qu’elles ont très vite compris que, si elle voulait continuer à créer de la valeur économique sur des marchés saturés, elle devait s’engager dans la bataille des imaginaires. ». »« Le Roman national des marques, par Raphaël LLorca », Yumag
Le « cas Trump » est-il vraiment novateur ou n’est-il pas que la réinterprétation échevelée d’un grand classique de l’histoire politique ?